C’était devenu inévitable.

Il ne servait à rien de se voiler la face plus longtemps. Toute la journée je me suis conditionné. J’ai répété mentalement toutes les étapes. Imaginé tous les scénarios possibles, pour m’y préparer. J’ai étudié le terrain, cherché les embûches potentielles et les solutions de repli.

J’aurais pu continuer à faire semblant, à faire comme si tout allait bien. Mais ça n’aurait fait que repousser l’inéluctable. Au contraire, je devais faire face à mon destin. Affronter la vérité : je n’avais plus d’oignons.

15h l’heure est venue. Je pointe à la badgeuse virtuelle. Je ferme mes applications et éteins l’ordinateur du boulot. Ma journée de télétravail est terminée.

Je change de vêtements pour adopter une tenue plus adéquate à la mission qui m’attend. J’enfile ma paire de baskets. Je passe dans le vestibule, me munis de mon petit diable IKEA.

Je tourne le verrou. Ça y est je suis le palier. Je donne un tour de clef. Je descends les bras chargés de la poubelle de recyclage et du sac de déchets ménagers.

J’ouvre les containers. Tiens mon voisin du dessus à toujours pas compris que ses putain de barquettes de viennoiseries NE SE RECYCLENT PAS, CONNARD DE MERDE. Mais ce n’est pas le moment de se laisser distraire par un citoyen de seconde zone. L’heure est grave, le moment solennel.

Je m’engage dans le couloir. J’appuie sur l’interrupteur pour déverrouiller la porte, j’abaisse la poignée. Un léger pas en arrière me permet d’ouvrir la porte.

Je descends les deux marches.

Ça y est.

Je suis dehors.

Je vous ferais bien fait croire que j’ai pris le temps d’emplir mes poumons de ce parfum de liberté et que j’ai dégusté ce premier pas en dehors de chez moi. Mais au même moment j’ai du faire un bond de côté pour éviter Kevin 15 ans qui fait du vélo sur le trottoir. PUTAIN DU VÉLO SUR LE TROTTOIR. Il est suivi de sa sœur 12 ans en trottinette qui se ballade avec une enceinte qui crache je ne sais quelle merde autotunée à mort. Et le clou du spectacle : leur père. Vêtu d’un élégant marcel, la cigarette au coin de la bouche, Jean Claude à fière allure. A priori je dirai qu’il a privilégié le stockage de 8.6 plus que celui de PQ. Mais qui suis je pour juger ? Après tout moi aussi j’enchaîne les apéritifs depuis quelques jours.

Bon hé pas le temps d’admirer la misère humaine. J’ai une mission sacrée.

En route.

Le début du périple se passe bien. Je ne croise plus personne. Le soleil diffuse une douce chaleur, c’est très agréable. Aux proches abords du magasin quelques personnes, mais le parking est quasiment vide.

Je rentre. Un rapide coup d’œil permet de me rassurer, je ne suis pas venu pour rien les rayons sont pleins.

Je fais donc mon tour en suivant ma liste. Y a pas trop de monde. Les gens s’évitent soigneusement. Au final je trouve tout ce que j’avais prévu d’acheter hormis les œufs et le pain.

Le passage en caisse se passe facilement. Je suis ravi de constater que la caissière est protégée par une grande pièce de plastique transparent. Face au clavier du TPE, mes doigts composent machinalement mon code. Heureusement car je ne m’en rappelais plus.

Il est temps pour moi de regagner mon lieu de confinement. Vu la quantité de légumes que j’ai acheté je devrai pouvoir tenir une dizaine de jours.

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2 commentaires

Georges · mars 25, 2020 à 21:18

Une belle histoire, un compte moderne. Tinté de Zola, de lutte des classes et de Greta Thunberg

miami beach · mars 26, 2020 à 08:56

l’équilibre alimentaire avant tout, merci Afida Turner pour tes conseils beautay

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