Nous sommes le samedi 4 juin, il est 6h30. Je suis déjà réveillé, pourtant, je suis épuisé. Tous les soirs de cette semaine ont été occupés par des activités plus ou moins alcoolisées. J’aimerais tellement dormir encore un peu. Je tente une technique qui a fait ses preuves. Malheureusement ça ne fonctionne pas. Je me lève et je vais prendre une douche. En me séchant je me rend compte que je n’ai pas d’envie particulière. J’ai deux trois bricoles à faire mais je les repousse à plus tard. Et j’opte pour me poser sur mon lit et squatter mon ordi. Je pars explorer le merveille monde des DIY sur YouTube. Le problème c’est que je suis capable de rester des heures à découvrir des trucs. Une fois, je me suis retrouvé à regarder un comparatif des différents modèles de barrières de sécurité pour les voies rapides…

J’ai rendez vous à 12h30 non loin de la médiathèque Jean Lévy. Mais j’ai la flemme d’y aller. En fait j’ai la flemme de tout. Me préparer, me taper le métro, le soleil de plomb… D’un autre côté je sais que je vais passer un moment extraordinaire, une petite bulle de gentillesse et bienveillance. Je fourre donc deux trois trucs dans mon sac à dos et je décolle. En chemin j’allume mon enregistreur audio. Si jamais quelqu’un sort un bon mot, je pourrais le citer correctement. Je prends la ligne 2 du métro. La chaleur est déjà désagréable. Je descends à Mairie de Lille et termine à pied.

J’ouvre la porte et bascule dans un tout autre univers. En un bonjour je suis dans l’ambiance. Mon visage se détend, malgré l’insupportable chaleur qui règne en ce lieu. Elles sont toutes là. Elles, se sont les sœurs de la perpétuelle indulgence. Il y a Satine, Simone, Mamie, Émonie, Cris, Sissy, Silver et Pupuce. Mais elles ne sont pas seules. Pour les épauler dans leurs missions, elles sont accompagnées d’anges. Il y a Artel, Élatine, Ouroulautre, Oliver et votre serviteur Lure. Je vous le concède, on est sur du jeu de mot de qualité. D’ailleurs si vous en voulez plus je vous laisse faire un tour sur le site des sœurs. Vous allez vous régaler. https://www.couventdunord.org/registre-sororal.html

Pendant qu’elles finissent de se préparer, je papote. Et l’ambiance est déjà là, ça critique les politiques, ça débat de l’intérêt de la légalisation de la prostitution…

Pour des raisons d’équilibre cosmique il possible que dans la suite de cet article certaines personnes soient genrées au féminin alors qu’elles ne s’identifient pas ainsi.

Elles ont environ 20 minutes de retard quand nous quittons le local. La première chose à faire c’est une photo. Nous sommes toutes réunies et encore fraîches, il faut en profiter. Sont d’abord réalisés quelques clichés des personnages. Puis pris dans l’euphorie de la collectivité il est décidé de faire une photo toutes ensemble. Et donc nous demandons à une passante de faire office de paparazzi. Je lui confie mon iPhone et je file poser. Pour maximiser les chances d’être absolument divines, les sœurs ont leur propre méthode. En lieu et place du fameux « cheese » elles préfèrent « sodomie ». Effet garanti. Comme vous le savez peut-être l’iPhone en plus d’être un fantastique smartphone et surtout un fabuleux appareil photo. Grâce à une multitude d’algorithmes, il prend de sublimes photos sans le moindre effort. Ça n’empêche qu’on a eu ce résultat.

Photo de famille avec un doigt

Nous reprenons ensuite le chemin pour nous rendre place de la République. Au passage un individu nous salue d’un : « Bande de salopes. C’est pas Halloween, espèces de putes ». Quelle belle entrée en matière. Mais les sœurs déclenchent aussi des réactions plus positives : des salutations, des sourires et des visages remplis d’admiration. Je quitte le groupe, juste avant que nous ne pénétrions dans l’enceinte du village des associations.

Il est temps pour moi de rompre ce suspense de fou que j’ai instauré. L’événement auquel les sœurs participent c’est bien évidemment la pride de Lille. J’en profite pour faire un point vocabulaire. On utilise bien trop souvent l’appellation Gay-pride pour parler des manifestations qui ont lieu en juin un peu partout dans le monde. Gay pride c’est une appellation un peu merdique. Pourquoi ?

Point histoire dans le point vocabulaire. Ça fait beaucoup de points, Chris sera ravi. Dans la nuit 27 au 28 juin 1969 un groupe de personnes racisées, transgenres, lesbiennes, bisexuel·le·s et gay se rebelle contre une descente de police dans un bar nommé le Stonewall Inn. L’affaire prend de l’ampleur et donnera lieu à plusieurs nuits de protestation connues sous l’appellation d’Émeutes de Stonewall. L’année suivante eu lieu la première manifestation en hommage à ce soulèvement. À nouveau cette manifestation est organisée par tout un collectif de personnes LGBT et pas seulement des pdsexuels. Donc vous voyez que l’appellation « gay » est galvaudée (mot compte double). Donc il serait plus opportun d’utiliser la dénomination « pride » toute seule. Ça permet d’être ultra inclusif. Mais de plus en plus on retrouve « Marche des fiertés » on est nickel parce que c’est pas focalisé que sur les gay mais le mot « marche » exclu les personnes à mobilité réduite. Le top c’est : défilé des fiertés. Voilà on en a terminé avec le point vocabulaire.

Je retrouve sur place un collègue pd. On l’appelle Soleil parce qu’il fait des soleils avec les mains quand il dit bonjour. Un jour j’avais parlé des soeurs et il avait exprimé l’envie de rejoindre le mouvement. J’ai joué un peu l’entremetteur et la Pride c’est le moment idéal pour faire connaissance. Pour l’instant les dindes sont en train de saluer tout le monde, on fera les présentations plus tard. D’ailleurs Soleil n’est pas le seul que je dois retrouver sur place. Diana, Mandarine et Clara ont prévu de venir. J’ai envoyé un message à Diana pour savoir où elles étaient. Je l’ai fait à 13h30. Il maintenant 14h14 et toujours pas de nouvelles. Accompagné de Soleil je décide d’aller choper une petite bière. Il fait une chaleur de pute c’est atroce. Je profite de la file d’attente pour écouter les prises de parole de chacun. Les messages sont forts. À plusieurs reprises, je me surprend à frissonner alors qu’il fait 35°. Je reçois enfin un appel des filles, elles sont encore à la coloc. Levage d’yeux au ciel. Je récupère ma bière et retourne me planquer à l’ombre. Nous papotons avec Soleil.

Finalement, y a plus grand monde sur scène, ça va être au tour des soeurs, nous nous approchons donc, quitte à nous retrouver en plein cagnard. Y a beaucoup de jeunes autour de nous et pas un « vieux » à l’horizon. Après un discours émouvant d’une personne de l’asso Handitrans, c’est enfin au tour des soeurs. Le discours commence. C’est un petit bijou comme à chaque fois. Mon téléphone sonne encore. Ce sont à nouveau les filles, elles sont arrivées. Je leur explique que je suis au premier rang juste devant la scène.

J’ai échappé de peu à la bénédiction à la paillette qui a clos la prise de parole. Tout le monde quitte le village pour rejoindre le cortège. Je reçois un troisième coup de tel, pour m’avertir qu’elles sont devant le Carrefour City. Nous traversons le boulevard de la liberté et rejoignons les gens agglutinés derrière un char.

Mon vrai travail commence, il faut que les soeurs restent le plus possible ensemble. Et ce n’est pas une mission facile, parce que ces dindes n’en font qu’à leurs têtes. Souvent je me dis que j’en fais trop. J’essaye d’avoir toujours le groupe des soeurs en visuel, tout en surveillant les gens qui s’approchent. Mais à chaque action où j’ai accompagné le couvent il ne s’est rien passé. Nous arrivons, non sans difficulté, à remonter le cortège jusqu’à la hauteur du Carrefour City mais y a pas de filles en vue. Nouvel appel, elles sont à l’intérieur en train d’acheter de l’alcool. Je tiens à préciser qu’elles ont un Carrefour City à 50 m de chez elles. Moi ce genre de trucs ça me fait péter des câbles. Elles me demandent de les attendre mais j’ai pas le temps.Les soeurs decident de remonter en tête du cortège en prenant la rue parallèle à la rue du Molinel. Nous tournons rue Edouard Delesalle et regagnons le défilé. Nous nous plaçons avec l’asso J’en suis j’y reste. Personne n’avance, je ne comprends pas bien ce qui se passe. Plein de gens que je connais plus ou moins viennent saluer les soeurs. Ça fait plaisir de voir des visages connus. Nous en profitons pour faire un point crème solaire. Au bout de vingt minutes nous avançons de vingt mètres !

Enième appel, je décris où nous sommes mais je pense que l’alcool fait un peu trop d ‘effet sur leurs cerveaux. De toute façon je commence à perdre patience. J’ai partagé ma position il suffit de se sortir les doigts du cul pour nous trouver. Nous recommençons à avancer. Soleil aussi a des difficultés à retrouver une amie. Il est dans la bonté, l’accompagnement, moi j’en peux plus. J’essaye de profiter de toute la bienveillance des soeurs pour me calmer. Georgette fait son apparition. Au moins quelqu’un qui sait tenir ses engagements. Oh putain de bordel de merde y a un couple qui vient de passer. Euhhhh l’un des deux portait un mini short moulant. On pouvait deviner si il était circoncis ou non.

Il est maintenant 15h46 je suis assailli par Mandarine qui se pend à mon cou. Violant au passage toutes les règles de garantie d’espace intime. Dix minutes plus tard elle revient avec Diana, Clara, Nahamma et même Boubou. L’alcoolémie cumulée du groupe doit permettre de faire fonctionner une centrale électrique pendant une semaine. Elles arrivent même pas à répéter les slogans scandés. Nous passons devant la gare, il commence à y avoir beaucoup de monde qui marche avec nous. Et les trottoirs sont pleins de gens qui nous regardent défiler. Après m’avoir beaucoup trop touché, et gueulé dans les oreilles les filles se barrent.

Je reprends ma mission tout en papotant avec Soleil. Nous entamons la descente de la rue Faidherbe. Il fait une chaleur pas possible. Les soeurs ont tendance à tenir la gauche , là où il y a le plus d’ombre. Je fais la voiture balais. Je suis à côté de Satine qui discute avec une ouaille. Je jette un coup d’oeil au reste du groupe plus en amont. Et là je vois un type qui déboule de la droite qui s’avance en direction d’Emonie. Clairement il a pas la gueule de quelqu’un qui est heureux d’être à la Pride. Je ne réfléchis pas vraiment d’instinct je sens que ça pue et je me mets à courir. Le temps que je les rejoigne, ce connard est en train d’essayer de lui arracher sa cornette. Je le chope et le repousse. – Dégage gros con. Ce débile s’accroche à moi, mais je le fais reculer jusqu’au trottoir. Il me répond « Hé toi, tu me connais pas, tu me connais pas ». – Dégage. « Qu’est ce que tu fais ? Trou du cul ».

On peut s’arrêter deux secondes sur l’ironie de la chose. Ce pauvre type s’est dit que la merde contenue dans sa boite crânienne justifiait d’aller faire chier quelqu’un. Et c’est à moi qu’il demande ce que je fais. Et c’est moi qui suis un trou du cul. Bref.

Cette rapide altercation, ça n’a duré que quelques secondes, a été repéré par une femme chargée de la sécurité de la manifestation. Elle appelle ses collègues avec son talkie, puis les rassurent, l’incident est clos. Moi je me retourne aussitôt pour voir si Emonie, va bien. Elle aussi s’enquiert de mon état. Je la rassure, tout en jetant un coup d’oeil à Satine restait à l’arrière. Ça va. Personne d’autre n’a été visé. J’entends la nana de la sécurité (appelons la Leaticia) marmonner des trucs. Mais mon corps est submergé d’adrénaline, je tremble, et surtout je redoute que ce connard ne revienne. Donc je n’écoute pas ce qu’elle dit. Heureusement j’avais mon enregistreur. Et je peux donc vous restituer avec la plus grande fidélité ses propos : « Ça vaut pas le coup de taper dans la merde tu vas t’esclabousser ». Alors la première fois que j’ai écouté l’enregistrement j’ai cru que j’avais mal entendu mais non elle parle bien « d’esclabousser ».

Je suis retourné auprès de Satine et de Soleil pour leur demander de rejoindre le groupe. Nous continuons le défilé. Nous arrivons maintenant à hauteur de l’Apple Store, le débile est repéré par Ange Ouroulautre et Ange Oliver. Il s’est couvert la tête de sa capuche de sweat. Je suis rassuré je ne suis pas le seul à pouvoir l’identifier si il revient. Je reprends mon papotage avec Soleil. Nous arrivons doucement mais surement sur la Grand Place. Là nous restons immobiles une bonne demie heure. Ce qui permet à plein de gens de venir discuter avec les soeurs, faire des photos… Puis nous reprenons le défilé. Quelques dizaines de mètres plus loin, Satine enlace une personne en pleurs avec qui elle discutait depuis quelques minutes. Je suis tellement admiratif de leur travail. Tellement fier de faire partie de ce couvent, même si ce n’est qu’en tant qu’ange.

Par contre qu’est ce que c’est chiant, on avance pas. Tous les 20 m on est obligé de s’arrêter. Et il fait tellement chaud. Je viens de terminer ma deuxième bouteille d’eau. Heureusement nous tournons rue de l’hôpital militaire, nouerons plus à l’ombre. J’ai une petite inquiétude quand nous passons devant le parvis de l’église Saint Etienne mais heureusement tout s’est bien passé. D’ailleurs la Pride se termine quelques dizaines de mètres plus loin. Nous filons tous ensemble au QG. Certaines veulent se démaquiller, d’autres se rafraîchir et d’autres encore veulent boire un pti coup.

Un petit debrief informel commence. Nous sommes unanimes, ce défilé des fiertés n’était pas une grande réussite. Mais Satine a trouvé la bonne formule « Cette pride était à l’image des droits des LGBTQI. Ça n’avance pas ». Chacune a partagé son ressenti. J’appelle les filles parce qu’un truc était prévu rue des postes. Tout le monde est à la coloc en train de squatter, donc l’idée est abandonnée. C’est génial parce que j’avais réservé ce créneau horaire et que j’ai refusé quand les sœurs m’ont proposé d’aller pique-niquer après la pride. Résultat j’ai rien prévu à manger. Je reste avec les sœurs encore un peu, histoire de profiter encore de cette petite bulle d’utopie.

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11 commentaires

Omer Ci · juin 23, 2022 à 11:30

Le petit point culture était très intéressant ! Super article merci 😁

Satine · juin 23, 2022 à 17:54

Merci pour tes mots qui m’ont refait vivres ces merveilleux moments de pride toustes ensemble.
Des bises pailletées
Sœur Satine Vitro

Pupuce · juin 23, 2022 à 18:07

Oh my gode je viens de prendre une merveilleuse dose d amour avec du poil autour.

Sissy-Phyllis · juin 23, 2022 à 18:11

Que ce témoignage est beau et émouvant ! Merci infiniment Ange Lure.
Parfois je me dis que nous (les S.P.I.) ne sommes qu’une bande de dindes ridicules (et c’est vrai que nous le sommes) qui ne sert pas à grand chose… alors c’est formidable de nous voir à travers tes yeux, à travers ton cœur, et je me dis que finalement on est pas si inutiles que ça… Merci merci merci 💙

Anonyme · juin 23, 2022 à 18:49

Très beau journal de Pride, je suis toute émue !
Mamie

Caca · juin 23, 2022 à 19:10

Enfin !

Christine B · juin 23, 2022 à 19:41

Encore de la propagande wokiste !

Anonyme · juin 23, 2022 à 20:26

Si t’étais à l’ombre avec Soleil, étais tu vraiment a l’ombre???
Bravo pour cet article, c’était très prenant !

    Michaël · juin 24, 2022 à 08:46

    Figurez vous Anonyme que je me suis posé la même question en l’écrivant. Je pense qu’il faut laisser des philosophes en débattre.

Émonie · juin 23, 2022 à 22:02

Merci encore pour tout. Je vous aime, Ange Lure!

Georges · juin 29, 2022 à 11:54

Ah j’ai pleuré (non, mais beaucoup d’émotions) !!!!!!!

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